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Une Assemblée de femmes et Me and my soul

© Alice Sidoli

Soirée en deux temps : présentation du spectacle Une Assemblée de femmes, d’après le texte d’Aristophane, par le Théâtre National Palestinien-Al Hakawati, (direction Amer Khalil), adaptation Jean-Claude Fall, co-mise en scène Roxane Borgna, Jean-Claude Fall et Laurent Rojol – précédé de Me and my Soul, performance et chorégraphie de Raïda Adon – Vu le 22 septembre à l’Institut du Monde Arabe/Paris, dans le cadre du cycle Ce que la Palestine apporte au monde.

C’est une soirée exceptionnelle présentée par l’Institut du Monde Arabe, avec le Théâtre National Palestinien-Al Hakawati. François Abou Salem, directeur de la compagnie El-Hakawati l’avait fondé en 1984 à Jérusalem-Est, et la troupe est venue à plusieurs reprises au Théâtre des Quartiers d’Ivry, invitée par Elisabeth Chailloux et Adel Hakim qui le dirigeaient. Ce dernier a mis en scène avec la troupe plusieurs spectacles : Antigone, en mars 2012, repris en novembre de la même année (cf. notre article du 15 novembre 2012, dans Le Théâtre du Blog) puis repris en 2017 pour l’inauguration de la Manufacture des Œillets (cf. notre article du 12 janvier 2017, dans Ubiquité-Cultures) ; Chroniques de la vie palestinienne co-mises en scène avec Kamel El Basha, un hymne à la vie, à la création, aux rêves qui avaient force de témoignage, comme les photos de Nabil Boutros rapportées des territoires palestiniens et présentées dans le hall du théâtre (cf. notre article du 27 mars 2012, dans Le Théâtre du Blog) ; Des Roses et du Jasmin une traversée de l’histoire contemporaine et du conflit israélo-palestinien de 1944 à 1988, spectacle présenté en 2017 (cf. notre article du 30 janvier 2017, dans Ubiquité-Cultures).

© Alice Sidoli

Une Assemblée de femmes, autrement dit celles qui siègent à L’Assemblée, est issue de L’Assemblée des femmes, comédie grecque antique d’Aristophane composée vers 392 avant Jésus-Christ : les Athéniennes se rassemblent à l’aube pour décider de leur sort et prendre les décisions qui s’imposent pour sauver la cité, en lieu et place des hommes. Pour ce faire elles se travestissent en empruntant à leurs maris et derrière leur dos, pantalons et vestes, chapeaux et chaussures, se collent barbes et moustaches postiches. « Tâche de parler comme un homme, sois comme un homme, pense comme un homme » se disent-elles entre elles, s’encourageant les unes les autres. En soi la situation est déjà des plus comiques, d’autant quand les hommes se réveillent et qu’ils se retrouvent sans vêtements, se souvenant avoir rendez-vous à l’Assemblée, et pour cause, ils sont payés. Ils revêtent alors les robes de leurs épouses.

© Alice Sidoli

La pièce est une satire politique autant qu’une ode à la femme, à la justice, aux droits humains. Les femmes font corps et se regroupent pour faire pression et dire non à l’oppression et à la violence. Elles sortent et se battent comme des lionnes, relèvent des défis à commencer par celui du patriarcat et de l’autocratie. Plusieurs draps tendus artisanalement et posés côte à côte, forment des écrans derrière lesquels, éclairées par des falots, elles projettent leurs ombres et envoient une multiplicité de messages, complément au texte et aux actions qui se déroulent sur scène. Une échelle et un porte-voix pour accessoires, des projecteurs pour éblouir la salle et s’adresser au peuple, le public. On est entre le théâtre de tréteaux et le théâtre-forum.

« Vous avez bien fait tout ce qu’on a décidé ? s’inquiète l’une d’elle, qui s’inscrit comme leader. » C’est par le burlesque qu’elles font passer leurs messages et abolissent le rapport scène-salle. On les retrouve prenant place dans le public, au premier rang, jouant avec les espaces scéniques et les espaces de la salle, avec le public. « Les femmes ont plus d’idées que les hommes » profèrent-elles avec décontraction et conviction, « elles font les choses de façon plus sensible, elles ont la responsabilité de la famille. »  Ces femmes poussent très loin le jeu, montent un programme politique, l’une se verrait bien présidente, tout en déclarant que « chacun de nous est capable de changer le monde. »

© Alice Sidoli

Le télescopage hommes-femmes prête à une cacophonie attendue, souligné par des cris, des sirènes hurlantes, des gesticulations, de la provocation. « Qu’est-ce qui a été décidé ? » se risque à demander l’une d’elle. « De leur donner le pouvoir » répond un homme. Et toutes de lancer leurs vêtements empruntés pour partir travailler. Un homme questionne sa femme, avec démagogie, la réponse est une scène de ménage et la déclaration d’une urgence absolue. « Nous allons proposer tout cela… » dit une autre. « Et toi, tu en penses quoi ? » demande une troisième à la salle. Un écran s’illumine des mots de Mahmoud Darwish : « Nous avons tout sur cette terre pour que ça vaille le coup de vivre… » et toutes se tournent vers le public pour le questionner. S’engage un débat avec la salle, qu’elles réussissent à maitriser : « Nous voulons entendre de vous. C’est le moment de… Donnez-nous vos idées. » Quelques questions fusent autour de l’impérialisme occidental, de l’éducation, de la violence conjugale, des religions, de l’apartheid vécu en Palestine.

Leur programme est annoncé, telle une belle utopie : « tout est à tous, on partage les terres et l’argent, les biens et les ressources et on fait communauté ; c’est la fin des puissants, personne ne pourra voler personne, tout le monde travaillera la terre… Il nous faut essayer. » Et chacune y va de son paradoxe : « Qui s’occupera de la maison ? Je peux vivre sans eux, oui mais qui nous remontera le moral ? » Et l’un apporte ses trois valises, pleines de ses affaires personnelles, pour partager : « Tu es fou, un peu de bon sens… » le reprend-on. Un autre attend de voir ce que fait le voisin. Deux autres semblent sceptiques et expriment leurs doutes et les choses se diluent, « il y a tant de choses qu’on a décidé de faire et qu’on ne fait jamais… » Et les Palestiniennes et Palestiniens présents sur scène, constatent leur capacité d’adaptation : « En Palestine, on change le monde tous les jours. »

La chute du spectacle leur donne du courage et des slogans : « Vous êtes fortes et vous êtes uniques. Femmes du monde, soyez fières d’être femmes. » On ne sait si, dans son Assemblée des femmes, Aristophane tournait en dérision l’utopie sociale et politique du pouvoir des femmes, ou les admirait, mais on peut lire la pièce comme un plaidoyer sur le vivre ensemble et la place des femmes, tant dans la société qu’en politique. Le Théâtre National Palestinien-Al Hakawati, et particulièrement les actrices, qui, le temps de la pièce, prennent le pouvoir, sont remarquables de causticité et de mobilité dans leur prise de parole publique et dans le langage théâtral qu’elles élaborent. On ne sait plus vraiment où l’on est : Athènes, Paris ou Jérusalem-Est dans sa tradition du Hakawati, le conteur arabe.

R. Adon, Me and my soul © A. Sidoli

Précédant une Assemblée de femmes, une performance et peinture vidéo signée de Raida Adon, Me and my soul, était présentée, dans une chorégraphie de Renana Raz. La forme mêle design vidéo et projection live réalisé par Asia Nelen, la danse est interprétée par Raida Adon. Une intervention proche du théâtre d’ombres où l’artiste dialogue avec son ombre, avec elle-même, et commente un texte poétique par ses dessins. Elle apporte un univers onirique face à la guerre, parle de résilience et d’espoir. Des oiseaux meurent en plein vol et se transforment en avion, des corbeaux de mauvais augure rôdent. Raida Adon mène un jeu à deux, basé sur le dédoublement et le face à face. Elle se relève et tombe, efface de sa jupe quelques signes qui se répètent et se déforment. Elle marche, puis se couche le long de l’écran qui affiche une croix, des cloches, les pleureuses. Elle grave ses dessins sur l’écran, s’allonge contre un corps mort, donne la main à une forme humaine-un squelette, puis son mouvement se suspend, elle chante et se fond au végétal. L’écran s’éteint, on entend le bruit de la mer qui se retire, au loin, et dont les couleurs se délavent et s’épuisent. Artiste palestinienne multimédia, Raida Adon lie ses œuvres – présentées dans plusieurs galeries et musées internationaux – à sa biographie, évoquant les nations en conflit et les relations entre les sociétés interdépendantes.

Le cycle proposé par l’IMA Ce que la Palestine apporte au monde a débuté au mois de mai et se poursuit jusqu’à la mi-novembre. Son objectif était d’évoquer la Palestine à l’heure où elle semblait quelque peu délaissée et de la montrer telle qu’elle inspire le monde, dans sa complexité et sa richesse, d’explorer, « comment vit, s’exprime et se perçoit la Palestine aujourd’hui. » Dans la crise du pire qui s’est invitée depuis le 7 octobre dernier et à laquelle elle fait face, et avec elle le monde, qu’en sera-t-elle demain ?

Brigitte Rémer, le 27 octobre 2023

Une Assemblée de femmes, avec :  Fatima Abu Alul, Ameena Adilehn, Iman Aoun (comédienne et directrice du Théâtre Ashtar), Mays Assi, Firas Farrah, Nidal Jubeh, Shaden Saleemn,  Amer Khalil (comédien et directeur du Théâtre National Palestinien-Al Hakawati) – adaptation,  Jean-Claude Fall – co-mise en scène Roxane Borgna, Jean-Claude Fall et Laurent Rojol – interprète Dana Zughayyar – traduction de la pièce d’Aristophane en arabe palestinien Ranya Filfil – Création franco-palestinienne par le المسرح الوطني الفلسطيني/ الحكواتي The Palestinian National Theatre, coproduite par le TNP, la Manufacture/compagnie Jean-Claude Fall, l’Institut Français de Jérusalem-Chateaubriand, avec le soutien du Consulat Général de France à Jérusalem – Me and my soul, Performance et peintures vidéo, Raida Adon – chorégraphie, Renana Raz – design vidéo et projection live, Asia Nelen.

Exposition Ce que la Palestine apporte au monde, du 31 mai au 19 novembre 2023, du mardi au vendredi de 10h à 18h, samedi et dimanche de 10h à 19h. Fermé le lundi – Institut du Monde Arabe, 1 Rue des Fossés Saint-Bernard, Place Mohammed-V, 75005 Paris – métro : Jussieu – site : www.imarabe.org – (cf. notre article du 30 juin 2023, dans Ubiquité-Cultures).

Jours tranquilles à Jérusalem

© Nabil Boutros

Texte Mohamed Kacimi – mise en scène et scénographie Jean-Claude Fall – dramaturgie Bernard Bloch – à la Manufacture des Œillets/Ivry-sur-Seine.

En 2015, Adel Hakim part à la rencontre du Théâtre National Palestinien avec lequel il collabore depuis plusieurs années. Entre Jérusalem-Est et Ivry-sur-Seine où il codirige avec Élisabeth Chailloux le Théâtre des Quartiers d’Ivry, qui s’installera plus tard à la Manufacture des Œillets, il vient monter Des Roses et du Jasmin pièce dont il est l’auteur et qui traverse l’histoire contemporaine de la région israélo-palestinienne de 1944 à 1988, à travers trois générations d’une même famille qui met en jeu Israéliens et Palestiniens. « Chacun est inscrit dans une généalogie, cela n’empêche pas de construire son destin » faisait justement remarquer Leila Shahid, ex-déléguée générale de l’Autorité palestinienne en France et ambassadrice de la Palestine auprès de l’Union européenne, lors d’un débat que proposait la Manufacture, en janvier 2017.

Dans cette mission délicate, Adel Hakim, a demandé au dramaturge Mohamed Kacimi de l’épauler. Ce dernier en a rapporté un carnet de bord et le fruit de ses observations, collectées entre février et juin 2015. Adel Hakim a écrit la pièce en français, en a demandé la traduction en arabe à Nabil Boutros, qui, également photographe et plasticien, a rapporté de Jérusalem-Est de superbes témoignages images, exposés au moment de la création de la pièce, à la Manufacture des Œillets. Sans doute, Adel Hakim ne s’attendait-il pas à tant d’embûches. C’est ce dont témoigne Jours tranquilles à Jérusalem, de Kacimi.

Son journal commence le mercredi 11 février 2015 : « Il fait un froid de canard à Jérusalem. Nous travaillons depuis une semaine dans une petite salle, encombrée de gradins bleus couverts de poussière et de manuscrits. La lumière est faible, le chauffage en panne, et le sol jonché de mégots et de gobelets écrasés. Autour de la table huit comédiens fument à tombeau ouvert. Ils lisent la dernière pièce d’Adel Hakim : Des Roses et du jasmin… » Et Kacimi retrace les premières réactions de la troupe qui, au-delà des déclarations d’amitié faites au metteur en scène, s’opposent farouchement à ce que, eux, Palestiniens, interprètent des rôles d’Israéliens. Ce thème, expression d’un réel blocage fut, dans les premiers temps, récurrent, et repris par le conseil d’administration du théâtre qui refusait tout en bloc : « J’ai compté les personnages de la pièce. Elle compte deux Palestiniens, Salah et son fils, les autres sont Juifs, Myriam, Aron, Rose, Dov et Yasmine. Deux sur cinq, mathématiquement c’est une pièce juive » dit l’un. « Tu veux un drapeau israélien sur la scène du Théâtre National Palestinien ? » demande l’autre. « Oui, pour la création de l’État d’Israël, il faut bien le montrer le drapeau… » se défend l’auteur, qui ajoute : « Vous voulez interdire la pièce c’est ça ? »  « Non, on ne parle pas d’interdiction. Mais de refus. On ne veut pas de cette pièce, c’est tout. Ce n’est pas de la censure, c’est un choix » répondent-ils en chœur. Le CA lui, voulait supprimer des pans entiers de la pièce, mais Adel Hakim résistait. A plusieurs reprises il fit sa valise. C’est le directeur de la troupe qui, contre l’avis du CA et contre ses acteurs, finit par prendre le parti de l’auteur et à défendre le projet.

Tout devient problème quand on est écorché vif. La fin de la pièce posait aussi problème : dans une première version, « la soldate israélienne, Rose, fille de Mohsen et de Léa, devait mourir dans un attentat, mais les acteurs trouvaient que cela nivelait les relations et effaçait la notion de coupable et victime, de dominant et dominé. » Alors, Rose se suicidera. Il y eut de nombreux échanges plus ou moins houleux avec les acteurs, sur tous les sujets sensibles, avant d’arriver à un consensus. On mesure la difficulté de monter un spectacle dans un pays où, comme le dit l’un d’eux, « tout est piégé »  et trois semaines avant la première, tout restait incertain.

Mais le chemin de Damas n’était pas fini car la vie quotidienne, à Jérusalem-Est, se pétrifie dans les check-point. Comment se concentrer sur un texte et trouver le temps de l’apprendre quand « pour sortir de Bethléem, je dois me réveiller à 5 heures du matin pour être à Jérusalem à 9 heures » dit l’un ; quand l’autre explique que « chaque jour, elle fait un trajet de 4 heures entre Haïfa et Jérusalem, prend un bus, un train, puis un taxi » ; quand le troisième doit franchir le pont Allenby, qui sépare la Cisjordanie de la Jordanie, comme le dit Le Monde « un condensé de toutes les calamités dont les Palestiniens sont affligés : bureaucratie, corruption et tyrannie sécuritaire…» temps au bout duquel, après des sinuosités extravagantes « les passagers passent enfin par la douane israélienne puis prennent le bus pour Jéricho. Pour franchir ce poste frontière, chaque palestinien met 8 heures les beaux jours et 10 heures les jours d’affluence. Un Paris-Marseille pour parcourir 40 mètres » note Kacimi. Le blocage est partout, aux check point, avec les embouteillages, avec la mort qui plane en permanence, avec les distances et contournements. Passer un mur, plus une zone de sûreté de barbelés superposés, plus d’autres grillages, plus une zone de détection faite de sable sur lequel les pas marquent, des miradors, des mitrailleuses, des portes à franchir : comment être à l’heure au théâtre et comment se concentrer ? On comprend que certains jours les filages soient mous et que « ça flotte. » Chaque moment apporte son lot d’incertitude et d’inquiétude. Les bouteilles d’eau sont bloquées par le fisc, les soldats interrompent les répétitions… La liste est longue des tracasseries quotidiennes.

« Nous faisons le point : nous sommes à deux mois de la création, nous n’avons plus de comédiennes. L’acteur qui doit jouer John n’a toujours pas obtenu d’autorisation de l’armée pour sortir de Bethléem. Le texte n’est pas prêt, les partenaires palestiniens peinent à trouver les fonds qui manquent et les membres du conseil d’administration du TNP sont très hostiles au projet » poursuit Kacimi. Coup de grâce la veille de la première prévue le lundi 1er juin. Quelqu’un dit : « C’est vraiment formidable votre travail. Mais vous oubliez une chose, il n’y a personne pour le théâtre à Jérusalem, si vous faites une deuxième représentation nous n’aurez pas plus de trois chats dans la salle. L’idée des trois heures de spectacle est magnifique, on n’a jamais vu ça ici, mais si vous faites un entracte personne ne va revenir. Vous allez vous retrouvez tous les deux, tous seuls. Je ne sais même pas si les comédiens vont rester avec vous pour la deuxième partie de la pièce. » Ce lundi 1er juin pourtant : « Nuit d’été à Jérusalem dont la lumière n’a pas d’équivalent ailleurs. La cour du théâtre se remplit petit à petit. Il y a beaucoup de monde. Nous avons un peu la trouille. Les gars de la sécurité habillés en tee-shirts noirs roulent des mécaniques devant la porte du théâtre.  Le spectacle commence dans un grand silence. Beaucoup ont sorti leurs tablettes pour filmer mais durant toute la première partie personne ne bouge. Un miracle. Durant trois heures, la pièce d’Adel déroule, avec un souffle épique, les destins fracassés de familles juives et palestiniennes mélangées, par l’amour et par la haine… A la fin, de la représentation, la salle est debout. »

Il n’est sans doute pas simple de trouver un point de vue scénique qui ne surcharge ni ne détourne le propos. Mettre en espace ces Jours tranquilles à Jérusalem, de Mohamed Kacimi, témoin d’un autre travail, celui d’Adel Hakim a peut-être tout simplement une valeur posthume – le metteur en scène est décédé l’été 2017 -. Kacimi en avait fait lecture quelques mois avant, en janvier, sous l’œil du Maître, lors de la création de Des Roses et du Jasmin à la Manufacture des Œillets, sa complémentarité était intéressante. On perd ici en densité en recréant en images le contexte de vie, et les difficultés de la création dans un pays en guerre. Dans la mise en scène de Jean-Claude Fall, qui a aussi conçu la scénographie et qui tient le rôle d’Adel Hakim, les acteurs se fondent dans le public, sorte de personnages en quête d’auteur qui interviennent depuis la salle, se glissant dans la peau des acteurs palestiniens, cela sonne plutôt faux. Il y a des séquences de reprise de « l’original » de la pièce Des Roses et du Jasmin, avec notamment, au début du spectacle, la rencontre entre John le militaire anglais et la jeune Myriam, pastiche d’une séquence hollywoodienne sous les projecteurs. Le texte est saupoudré de petites histoires drôles au rire grinçant, Trump, Macron et Dieu apparaissent au générique. Pour qui a vu le spectacle d’Adel Hakim, cette image-reflet des acteurs du Théâtre National Palestinien est une fausse bonne idée, le décalage de la langue aidant, la magie et l’Histoire s’envolent. Et les prises de vue vidéo défilant sur écran – très vite au départ et comme des coups de poing – qui montrent le quotidien de Jérusalem-Est, avec de nombreux graffitis témoignant de la guerre, n’ont pas de réelle construction dramaturgique.

Cette « tragédie grecque mettant face à face deux frères jumeaux qui s’autodétruisent » selon Leila Shahid n’avait peut-être pas besoin de ce commentaire sur le commentaire de l’Histoire. Adel Hakim, qui avait mis en scène, avec le même Théâtre national Palestinien, Antigone, se reconnaissait aussi dans la tragédie grecque « qui m’a toujours servie de modèle dramaturgique. Elle met, dans pratiquement toutes les pièces conservées, une histoire de famille, l’intime, en rapport avec la société et le monde » disait-il avant de partir.

Brigitte Rémer, Paris le 15 février 2019

Avec Bernard Bloch,  Roxane Borgna, Etienne Coquereau, Jean-Marie Deboffe, Jean-Claude Fall, Paul-Frédéric Manolis, Carole Maurice, Nolwenn Peterschmitt, Alex Selmane. Création vidéo et collaboration artistique Laurent Rojol – direction technique Jean-Marie Deboffe – régisseur lumière Bernard Espinasse – régisseur son Olivier Naslin – habilleuse Marie Baudrionnet –  Commande d’écriture d’après Jours tranquilles à Jérusalem, texte publié aux éditions Riveneuve – Extraits de Des Roses et du Jasmin d’Adel Hakim, éditions l’Avant-Scène.

Du 28 janvier au 8 février 2019, à la Manufacture des œillets, 1 place Pierre Gosnat, Ivry-sur-Seine – Métro : Mairie d’Ivry –  Tél. : 01 43 90 11 11 – Site www.theatre-quartiers-ivry.com